Un
homme avait épousé la fille de son oncle paternel. Au
matin, lorsque le soleil montait au ciel, il la rouait de coups de
bâton, et le soir,
il la maltraitait encore : "Suis-je un
vrai gaillard !" lui disait-il
ensuite. Un jour la femme rencontra une vieille qui lui demanda :" Pourquoi
donc es-tu en si mauvais état depuis que tu as épousé ton
cousin ?"
"C'est,
répondit-elle, que mon voisin m'assomme
dès le matin et il recommence le soir ; après il mz dit
: Suis-je pas un gaillard ? et je dis oui".
La vieille reprit alors : "Quand il te demandera
une autre fois s'il n'est pas un gaillard, demande-lui à ton
tour :
"Combien y en a-t-il qui aient le derrière gonflé comme
le tien ?"
A la question, le mari se leva : "J'irai
voir s'il en est qui ont le derrière plus gonflé que
moi"
et arrachant un arbre, il s'en fit une canne et partit. Chemin faisant,
il rencontra un homme pourvu d'oreilles énormes. "Eh !
lui cria-t-il, que
fais-tu là debout avac ces oreilles béantes?"
L'autre répondit : "Quand
je me tiens ainsi debout, j'entends à trois journées
de distance."
"Quel gaillard tu es !" "Bah
! repartit
l'homme aux grandes oreilles, combien
y en-a-t-il qui ont le derrière plus gonflé que moi !
Himmed, le fils de l'âne, n'est-il point en ce monde?" "Et
si tu rencontrais le fils de l'âne, que ferais-tu ? "Certes,
j'en ferais mon frère!" "Et bien,
c'est moi, le fils de l'âne,
reprit l'homme à la cousine, suis-moi
donc !" et
le prenant avec lui, il s'en alla.
En
route, il trouvèrent un homme debout qui ouvrait de grands yeux. "Pourquoi,
demandèrent-ils, es-tu là à ouvrir
les yeux ?" Il leur répondit : "Je
suis en train de regarder à quatre journées de marche."
"Quel gaillard !" s'écrièrent-ils.
"Moi, dit-il, en
quoi suis-je un gaillard ? N'y a-t-il pas au monde un Himmed fils de
l'âne ? Et si tu le rencontrais, cet Himmed le fils de l'âne,
que ferais-tu ? Je m'en ferais un frère". Himmed
le prit aussi et poursuivit son chemin. Ensuite, il fit la rencontre
d'un individu qui tordait la corde ; il en avait un gros tas ; on l'interrogea
:
"A quelles fins cette corde que tu entasses ?"
"C'est
pour quand je me fâche ; je lance ma corde et je soulève
le monde"
"Quel gaillard tu es ! " "En
quoi suis-je un gaillard ?" repartit l'homme, "N'y
a-t-il pas en ce monde un Himmed le fils de l'âne ?"
Himmed reprit : "Et si tu rencontrais
Himmed le fils de l'âne, que ferais-tu ? "Je m'en ferais
un frère"
"Et bien c'est moi qui le suis,
dit Himmed, en route !" Ils
s'en allèrent plus loin et en marchant, ils aperçurent
au milieu du désert
un homme qui préparait à la pioche des planches à ensemencer,
dans un endroit où il n'y avait pas d'eau. Ils le questionnèrent
: "Pourquoi
faire ce travail là où il n'y a point d'eau ?"
Il répondit : "Après
avoir préparé le sol, j'y mettrai la semence, et je n'aurai
qu'à pisser
une fois pour l'arroser" Himmed, le fils de l'âne
lui dit : "Tu
es certes, un gaillard ! Moi et en quoi
suis-je un gaillard ? N'y a-t-il pas au monde un Himmed le fils de l'âne
? Et si tu rencontrais, que ferais-tu ? Je m'en ferais un frère
! Et bien, c'est moi qui le suis, marche ! Et il partit avec lui.
Et
tous ensemble, ils firent société et Himmed le
fils de l'âne, et le cordeur, et le pisseur, l'oreillard et le
bon-oeil. Ils s'en allèrent ainsi s'asseoir à la porte
d'un roi demandant l'hospitalité.
Le roi leur fit servir à souper, et, bien repus, ils se couchèrent.
Le matin, ils déjeunèrent, et le déjeuner pris,
il restèrent. A midi,
on leur apporta le dîner qu'ils mangèrent ; et ils restaient
encore. Pour le coups, les gens du roi se fâchèrent. "Des
hôtes soupent, ils dînent
mais après ils partent" disaient-ils. Alors
Himmed le fils de l'âne
se leva et alla se poser devant le roi : "Que
veux-tu ? " dit-celui-ci
"Et bien ! Je désirerais épouser
ta fille" "Demain,
répondit le
roi, nous examinerons la chose".
Himmed retourna vers ses
compagnons. Après qu'il fut sorti, le roi manda à son
monde de mettre du poison dans les mets des étrangers. Mais
Oreillard entendit. "Camarades,
annonça-t-il, ils disent que ce soir
ils vont empoisonner notre nourriture. Sois calme repartit
Bon Oeil, ce
n'est point là ton
affaire" Et quand
vient le repas, il s'étendit en avant d'eux en disant : "Prenez
patience ! " et après cet avis, il plongea
sa main dans les plats et en retira tout le poison ; puis prenant trois
bouchées, "Mangez !" ajouta-t-il.
Ils mangèrent. Au matin, les gens du roi furent pleins d'étonnement,
ils dirent : "Puisque ce poison ne les
a point tués et
les a seulement aidés à dormir, faisons-les donc flamber." Oreillard
entendit : "Camarades,
ils veulent nous brûler !" Le Pisseur lui repartit
: "Ce
n'est point là ton affaire : reste en paix." Et
les gens du roi étant venus avec
du feu, il envoya un jet d'urine qui mit le pays à la nage.
Les gens du roi éclatèrent alors en supplications, et
on sauva le pays. "Ni le poison,
dirent-ils après, ne
les tue, ni le feu
ne les brûle : eh bien ! Que toute la population se rassemble
et les mette dehors !" La chasse commencça, mais à
ce moment, le Cordeur lança sa corde et le pays fut enlevé. Le peuple
l'arrêta par ses prières : "Nous
verrons la querelle entre le roi et toi". Et ils allèrent dire au roi : "Si
c'est possible, donne ta fille à ces gens-là".
Eette
fois le roi consentit. Mais Himmed lui dit : "Sache
que moi, je suis, comme toi, fils de roi; je n'avais nullement l'intention
d'épouser ta fille, je veux seulement que tu constates,
par écrit cacheté de ta main, que nous sommes des gaillards".
Le roi écrivit et signa, et ils s'éloignèrent. Ils s'arrêtèrent auprès
d'un puits. Ils sentirent la faim, et laissant l'un d'entre eux, ils
allèrent chasser la gazelle : le premier gibier pris, ils l'apportèrent.
"En attendant notre retour, fais cuire
cela" dirent-ils ; et celui
qui était resté ayant égorgé l'animal et l'ayant dépecé, s'apprêtait
à le mettre dans la chaudière quand un ogre apparut hors du puits : "Toi
ou la viande, fit-il, je veux
manger" "Mange la viande" répondit
l'homme. L'ogre mangea et descendit dans le puits. Alors ceux qui étaient à
la chasse revinrent et demandèrent où était la viande : "Des
hôtes sont passés, dit le compagnon, je
la leur ai donnée. C'est
bien"
; ils lui laissèrent leur nouveau butin et s'en retournèrent. Le compagnon
se mettait encore en devoir de garnir la chaudière : l'ogre reparut
disant : "Toi ou la viande, je veux manger.
Mange la viande" . L'ogre mangea et redescendit
dans le puits. Les chasseurs revinrent encore et demandèrent leur viande.
Ils eurent pour réponse : "Des
hôtes sont passés, je la leur ai donnée"
. Alors Himmed le fils de l'âne se fâcha, disant qu'il resterait à
attendre ces hôtes et il ajouta : " Je
finirai par voir ces hôtes ; Vous ! allez à la chasse" Ils
prirent un animal et l'apportèrent et lui allait garnir sa chaudière
; l'ogre sortit de nouveau : "Toi ou la viande,
dit-il, je
veux manger."
Himmed répondit : " Ni moi, ni la viande,
tu ne mangeras rien" . L'ogre
fit l'oeil rouge. "Ne fais ainsi l'oeil
rouge, continua Himmed, va prendre
la forme humaine afin que nous luttions corps à corps. Si tu me terrasses,
tu me mangeras et tu mangeras la viande; mais si je suis vainqueur, tu
disparaîtras." Ils luttèrent et Himmed le fils de l'âne ayant enlevé
l'ogre, le jeta sur le sol. L'ogre disparut et rentra dans son repaire.
A leur retour, les compagnons de Himmed le trouvèrent auprès de la gazelle
cuite à point ; il leur reprocha de l'avoir ainsi trompé
en crainte de l'ogre ; puis on s'assit et on mangea.
Après
quoi Himmed le fils de l'âne leur dit d'aller chercher de
l'écorce,
et il en fit une corde avec laquelle il descendit dans le puits
où se cachait l'ogre. Il arriva en face d'un trou. Il y
pénétra
et trouva une
fille pleine de beauté : "Qui
t'a amené ici ?" lui demanda-t-il
"C'est l'ogre qui m'a ravie et m'a
déposée en cet endroit". Himmed
la pria de lui montrer où était l'âme de l'ogre. "C'est
là dit
la jeune fille, dans le coffre".
Et Himmed alla au coffre et piétina dessus. L'ogre cria "Fannna,
pourquoi mon âme me fait-elle mal?"
Et Fanna répondait : "Ton
âme te fait mal, laisse-la s'en aller" Fanna,
cherche, qu'y a-t-il, que trouves-tu? Des cendres pour t'ensevelir,
voilà ce que je trouve". Ses cris retentirent
jusqu'à ce qu'il étouffa. Himmed alors questionna
la jeune fille sur les biens que l'ogre possédait et elle
lui indiqua trois caisses remplies de richesses. "Envoyez
la corde" ordonna-t-il à ses compagnons
; quand ils l'eurent descendus, il y attacha les trois caisses
q'uil fit remonter et après les caisses la jeune fille. "Tirez-moi
que je remonte" dit-il. Ils tirèrent mais à moitié chemin,
ils coupèrent la corde. Himmed tomba et ne retrouva le souffle
que sur la septième terre. Les associés se partagèrent
le butin, et chacun, qui avec une caisse, qui avec la jeune fille, s'en
fut dans son pays. Cependant Himmed voyageait sous la terre; il rencontra
une vieille et lui dit :
"Ma grand-mère, prenez-moi avec
vous, car je suis étranger". Et la vieille
répondit : "J'ai trois chèvres,
reste donc avec moi : tu les feras paître, puisque je n'ai pas
d'enfant."
Himmed demeura ainsi avec elle. Un jour, elle lui apporta de l'eau saumâtre.
"Pourquoi, ma grand-mère, cette
eau est-elle saumâtre? " lui dit-il.
"Chut ! mon cher enfant !" "Qu'y
a-t-il donc ?" reprit-il et la vieille
lui conta qu'un crocodile arrêtait le fleuve, qu'il lui fallait
tous les jours une vierge, et que c'était le jour de la fille
du roi. "C'est
bien " , dit Hammed, et il s'en alla trouver la jeune
fille, qui était exposée ; "Ma
cher soeur, que faites-vous là toute seule ? On m'a amenée
ici pour être la
proie du crocodile, partez ! Bon, dit
Hammed, laissez-moi dormir sur votre cuisse,
tirez-moi un pou de la tête, et quand viendra le crocodile, réveillez-moi".
Alors, il s'endormit sur sa cuisse; le crocodile avança ; la jeune
fille eut honte de réveiller
l'homme et se prit à pleurer ; une larme tomba dans l'oreille
de Himmed et le réveilla : "Pourquoi
pleurez-vous ?"
dit-il "Voilà le crocodile, sauvez-vous !" A
ce moment le crocodile leur cria de loin : "Pourquoi
donc êtes-vous deux ?" Himmed lui répondit : "C'est
pour toi que le roi nous a désignés tous les deux : que je fasse seulement
deux rekas sur ton dos, et tu nous mangeras ensuite." Le crocodile
consentit et se coucha. Himmed termina un premier reka, puis d'un coup
de couteau, il transperça le crocodile, et le fleuve se remplit d'eau.
Alors Himmed trempa sa main dans le sang du crocodile et appliqua les
cinq doigts sur la cuisse de la jeune fille. Celle-ci voulut s'en retourner,
mais le peuple la chassait, disant : "Pourquoi
reviens-tu . Veux-tu donc que le crocodile nous dévore tous ?
" Elle leur apprit qu'un jeune homme l'avait tué ; mais ils traitaient
ses paroles de mensonges, et ils ne la crurent qu'après qu'elle les eut
menés voir le crocodile. Le roi fit alors publier que le vainqueur du
monstre épouserait la princesse. Tous les hommes s'assemblèrent. Le roi
demanda : "Quel
est celui qui a tué le crocodile ? " " Tous se levèrent,
disant :"C'est moi qui l'ai tué ! Où est
la preuve ?" dit le roi, et
ils se turent. "N'y a-t-il personne d'absent ?" dit encore le roi :
ils répondirent qu'il n'y avait personne d'absent qu'un jeune homme :
et ils ajoutèrent : "Puisqu'il est
homme, qu'on l'envoie chercher." On
l'appela, il vint et on lui demanda de faire la preuve.
"La
preuve, je l'ai fixée avec les cinq doigts de ma main sur la cuisse de
la jeune fille. Ma fille est ta femme." lui dit le roi. Mais
Himmed refusa : "Moi aussi, comme toi,
je suis fils de roi, fais moi donc retourner dans mon pays. Et où est
ton pays ? interrogea le roi. "Dans
la direction du monde". Le roi fit amener un aigle sur lequel
Himmed monta, et ayant égorgé un mouton qu'il découpa en cinq morceaux, à
chaque ciel où tu parviendras, ajouta-t-il, tu
mettras un morceau dans le bec de l'aigle.
Arrivé aux limites du dernier ciel, Himmed mit le morcaui qui restait
dans le bec de l'oiseau : mais celui-ci le laissa tomber. Alors, Himmed
se coupa un morceau de la cuisse et tandis qu'il le mettait dans le bec
de l'aigle ; "Va-t-en" dit celui-ci. "Non,
c'est toi qui t'en iras" .
"Qu'y-a-til donc ? " repartit l'aigle. "Il
y a que je t'ai coupé un morceau de ma cuisse". L'aigle le lui rendit et s'envola. ensuite, il demanda
compte à ces anciens compagnns des trésors et de la jeune fille : mais
il leur en fit don, et alla retrouver sa femme. |