LE TRESOR DE KERMA
 

 

Un petit lexique en bas de page pour vous aider.....

 

Un Barbarin était resté trente-cinq ans à Alexandrie au service d'un Européen. Il se décida à retourner au pays : "Payez-moi mes gages, dit-il à son maître, il faut que je parte pour revoir les miens; mon absence s'est prolongée." "Tu toucheras tes gages au Dongola" reprit le Khawagah "Comment les toucherai-je ?"

"Je t'indiquerai un moyen" "Un moyen ?" "Mais tu me fourniras caution car tu irais répéter ce que je vais t'apprendre."

Le Barbarin amena un garant qui répondit de son silence. Le Monsieur accepta la caution et remit (à son serviteur) un morceau d'une sorte d'encens et une cassolette. "Va au Dongola, dit-il, dans le canton d'Argo, à Kerma, où sont les deux constructions antiques; dans l'une d'elles, tu allumeras cet encens, elle s'ouvrira; alors, prends-y deux cents réaux, et un millier de guinées. Dès que tu allumeras l'encens, la porte s'ouvrira pour toi, et tu pourras entrer sans crainte; mais après avoir pris ton argent, ne reste pas un instant, si l'encens venait à s'éteindre, la porte se refermerait sur toi." Il ajouta : "Surtout, ne dis mot à qui que ce soit ! Après 7 ans de séjour dans ton pays, tu reviendras; jusque là, je laisserai courir tes gages."

Le Barbarin partit. suivant les indications de son maître, il alluma l'encens; la porte (du monument) s'ouvrit; il enleva l'argent, comme il avait été dit, en monnaies diverses, et sortit avec son fardeau; derrière lui la porte se referma. Il alla dans sa famille, et pendant trois ans il demeura, dépensant ses richesses.

On vint alors dire au roi Tombol : "Un tel, le fils d'un tel, a fait fortune; il est de retour et dépense guinées et réaux. Est-ce que tout le monde ne va pas en Égypte ? Où a-t-il trouvé cet argent ?" Le roi le fit prendre, et quand il fut devant lui : "Où as-tu trouvé tout cet argent ?" "Je servais en Égypte." "Si tu ne réponds à ma question, je te frapperai." "Vous pouvez me frapper, me tuer, je dis vrai." "Qu'on l'emprisonne !" reprit le roi, "et qu'on fasse des recherches dans sa maison".  On fit les recherches : on prit l'argent et on l'apporta au roi. "Si tu ne révèles pas l'origine de cet argent, dit-il encore, tu prendras le chemin du bagne." Le richard répondit au roi : "Par la terreur, un Européen d'Égypte m'a contraint d'exécuter ses ordres au sujet de mes gages, et de venir prendre dans les ruines plus qu'il ne m'était dû; j'ai fait ce qu'il m'a dit et j'ai eu l'argent." "Et quelles étaient ses instructions ? Il faut nous les faire connaître : je te donnerai un grade et le tiers de mes biens; je te comblerai."

L'homme : "Le Monsieur a exigé de moi une caution; est-ce que je puis parler ? Après, il me poursuivrait."

Le roi : "S'il a quelque réclamation à faire, qu'il vienne à moi; cela ne te concerne pas; parle. Comment as-tu pris ton trésor ?" "Avec un encens, mais l'encens est consummé, il n'y en avait qu'un morceau. Comment iriez-vous ouvrir (les ruines) sans encens ."

Le roi demanda : "Qu'y avait-il dans l'intérieur (de l'édifice) ?"

L'homme : "des réaux, des réaux à cinq, des piastres, des monnaies d'or de tout genre, en piles, rangés par espèces."

"Pas autre chose ?" "Un serpent immense était là." "Au moment où tu te chargeais, qu'a fait le serpent ?" "J'avais ce qu'il fallait contre lui, je lui ai lancé le charme, et il s'est retiré inoffensif, je suis parti avec mon argent."

Le roi manda la nouvelle au gouverneur : "Un de mes gens, écrivait-il, qui était en Égypte, est revenu ici; d'après les instructions d'un bourgeois de là-bas, il a enlevé des ruines antiques un trésor. J'attends vos ordres pour faire des fouilles." Le gouverneur quitta sa résidence. De concert avec le roi, il rassembla des hommes. Pendant dix-sept jours on attaqua les monument, dix-sept jours, depuis l'aurore, sans relâche, jusqu'à la tombée de la nuit, on cassa, brisa. De guerre lasse, on arrêta les travaux.

Et la ruine est toujours là !

 

LEXIQUE

Khawagah : titre donné aux principaux négociants ou à de hauts dignitaires.

Originaire du Dar Nuba, le Barbarin est proche physiquement des Baharias

réaux : le réal est une monnaie espagnole

guinées : ancienne monnaie anglaise de Guinée

Dans ce contexte, le marchand a amassé et caché une fortune grâce à de fructueuses transactions avec des négociants étrangers.

Dongola : voir ici

 

 

Ce conte est issu du recueil "Quelques contes nubiens"

écrits par Maxence DE ROCHEMONTEIX (1849-1891)

Elève de Gaston MASPERO, il travailla essentiellement au temple d'Edfou et entreprit la publication des textes du sanctuaire. Il étudia également les rapports du berbère et de l'égyptien et fut administrateur à la Commission des Domaines de l'Etat égyptien de 1879 à 1885.

 

Merci à Claude Laversanne pour ces textes retrouvés

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