UN OEUF TRES PRECIEUX

 

  Un jour qu'elle balayait sa maison, une paysanne trouva, dissimulé dans un coin sombre à l'abri des regards, un oeuf. Elle le ramassa et le fit rouler délicatement entre ses doigts. C'était un oeuf de poule, tout lisse et tout blanc.

     Étrange ! La plupart des femmes du pays gardent des chèvres, comme elle.

Elle en a cinq dans la cour de la maison. Chaque jour, elle les emmène au bord du fleuve, où elles broutent paisiblement. Les chèvres, ça broute n'importe quoi ; elles trouveront à manger là où vous ne verrez que du sable et des cailloux. Tandis que les poules....Les poules, il faut leur donner du grain, donc il faut acheter du grain. C'est une autre histoire. Que faisait cet oeuf de poule ici ? Enfin, qu'est ce que ça changerait de le savoir ? La paysanne est bien trop heureuse de l'avoir trouvé pour se préoccuper du reste. Au moment où elle s'apprête à le cacher habilement, son petit garçon passe et le voit . Il voit l'oeuf tout lisse et tout blanc entre les doigts de sa mère et se met à le réclamer avec insistance.

     - Oh, maman ! je t'en prie, donne-le-moi. Je ferai tout ce que tu veux. Donne-le-moi. J'irai faire brouter les chèvres à ta place, j'irai vendre leur lait au marché et je n'achèterai pas du bois de réglisse avec les sous. Donne-le-moi, donne-le-moi !

       Rien à faire. La paysanne ne veut pas se séparer de l'oeuf. Alors, le petit garçon a une idée pour faire plaisir à sa mère et lui adoucir le coeur. Il prend le bidon en fer-blanc, court jusqu'au fleuve le remplir d'eau fraîche, et revient courbé en deux avec son précieux chargement pour le verser dans les deux zirs en terre qui se trouvent dans la cour de la maison. Ensuite, il retourne au fleuve, remplit le bidon et revient verser l'eau dans les zirs. Vingt fois, il refait le chemin de la maison au fleuve et du fleuve à la maison. Les deux zirs, presque aussi hauts que lui, sont pleins à ras bord, et ruissellent d'eau bien froide. Et en effet, sa mère est si contente qu'elle consent à lui donner l'oeuf.

       Fier comme un nouveau fiancé, le petit garçon sort cette fois de sa maison, en sautillant de bonheur, avec son oeuf dans la main. Il ne veut pas le manger tout de suite, mais le garder dans ses mains le plus longtemps possible. C'est alors qu'il croise sur son chemin un ferronnier, en train de fabriquer une de ces énormes aiguilles de fer avec un manche de bois, celles dont on se sert pour tresser l'osier des paniers. Le ferronnier aperçoit l'oeuf dans la main de l'enfant :

 - Donne-moi ton oeuf, petit.

 - Te donner mon oeuf ?

 

Jamais tu n'auras mon oeuf,

Mon oeuf tout lisse et tout blanc.

Pour l'avoir j'ai tant peiné,

Tant d'eau, tant d'eau, j'ai transporté.

Si ma mère me l'a donné

Je l'avais bien mérité.

Ma mère le voulait pour elle.

Que je sois maudit si je mens

Je ne dis que la vérité.

 

       Impressionné par la réponse du petit garçon, le ferronnier applaudit. Il décide de lui donner l'aiguille qu'il venait de terminer contre son oeuf. L'enfant accepte, prend donc la grande aiguille à manche de bois sous son bras et continue son chemin.

       Un peu plus loin,  il rencontre des vanniers assis par terre au bord de la route, à côté de grands tas de bois, de tiges et de feuilles de palmiers dattiers. Ils en font des cageots et des paniers de toutes les formes et de toutes les tailles. Le petit garçon reconnaît le grand plateau tressé dont on se sert pour étaler les pains chauds sortant du four, afin qu'ils refroidissent en restant bien gonflés. "Donne-nous ton aiguille", lui crient les vanniers en apercevant l'instrument dans ses petites mains.

  Vous donner mon aiguille ?

 

Jamais vous n'aurez mon aiguille,

Mon aiguille à manche de bois.

Pour l'avoir j'ai donné mon oeuf

Au ferronier qui l'avait façonnée ;

Mon bel oeuf, tout lisse et tout blanc,

Pour l'avoir j'ai tant peiné

Tant d'eau, tant d'eau, j'ai transporté.

Si ma mère me l'a donné

Je l'avais bien mérité.

Ma mère le voulait pour elle.

Que je sois maudit si je mens

Je ne dis que la vérité.

       Les vanniers approuvent le petit garçon, et lui offrent le grand plateau à pain en échange de son aiguille. Le voilà donc qui reprend la route en sifflotant, avec l'énorme plateau rond en équilibre sur la tête. Il n'a pas fait cent pas, qu'il rencontre des moissonneurs qui lui réclament son plateau.

  Vous donner mon plateau tressé ?

 

 

Jamais vous n'aurez mon plateau tressé !

Fait de tiges de palmier.

Pour l'avoir j'ai donné l'aiguille

L' aiguille à manche de bois

Aux vanniers qui font des paniers

Pour avoir l'aiguille j'ai donné l' oeuf

Au ferronier qui l'avait façonnée ;

Mon bel oeuf, tout lisse et tout blanc,

Pour l'avoir j'ai tant peiné

Tant d'eau, tant d'eau, j'ai transporté.

Si ma mère me l'a donné

Je l'avais bien mérité.

Ma mère le voulait pour elle.

Que je sois maudit si je mens

Je ne dis que la vérité.

      Les moissonneurs comprennent les raisons du garçon, et lui donnent un énorme ballot de blé en échange de son plateau. L'enfant repart heureux, sous le poids écrasant de son nouveau chargement. Alors qu'il rêve déjà à ce que dira sa mère en voyant le blé qu'il lui rapporte, il croise sur sa route des bergers. "Donne-nous ce blé", lui disent-ils, "nous en avons besoin."

Vous donner mon blé ?

Mon beau blé couleur de soleil ?

 

Pour l'avoir j'ai donné mon plateau tressé

Fait de tiges de palmier

Aux paysans qui l'avaient moissonné.

Pour avoir le plateau tressé, j'ai donné l'aiguille,

L'aiguille à manche de bois,

Aux vanniers qui font des paniers.

Pour avoir l'aiguille j'ai donné l' oeuf

Au ferronier qui l'avait façonnée ;

Mon bel oeuf, tout lisse et tout blanc,

Pour l'avoir j'ai tant peiné

Tant d'eau, tant d'eau, j'ai transporté.

Si ma mère me l'a donné

Je l'avais bien mérité.

Ma mère le voulait pour elle.

Que je sois maudit si je mens

Je ne dis que la vérité.

       Alors, pour avoir le blé, les bergers lui donnent beaucoup de lait qu'il emporte sur son dos dans une immense outre en peau de mouton. Le pauvre garçon réjoui mais épuisé, souffle et peste sous son outre lorsqu'il rencontre un groupe de chameliers conduisant leurs chameaux. "Nous n'avons pas réussi à traire assez de lait aujourd'hui. "Donne-nous celui que tu portes sur ton dos".

       Le garçon pose son outre à côté de lui et se met à répondre, encore plus en colère que les autres fois car il est très essoufflé :

  Vous donner mon lait ?

 

Jamais vous n'aurez mon lait !

Bon lait crémeux et savoureux,

Pour l'avoir j'ai donné mon blé,

Mon beau blé couleur de soleil,

Aux bergers qui m'ont supplié.

Pour avoir le blé j'ai donné mon plateau tressé

Fait de tiges de palmier

Aux paysans qui l'avaient moissonné

Pour avoir le plateau tressé j'ai donné l'aiguille

L' aiguille à manche de bois

Aux vanniers qui font des paniers

Pour avoir l'aiguille j'ai donné l' oeuf

Au ferronier qui l'avait façonnée ;

Mon bel oeuf, tout lisse et tout blanc,

Pour l'avoir j'ai tant peiné

Tant d'eau, tant d'eau, j'ai transporté.

Si ma mère me l'a donné

Je l'avais bien mérité.

Ma mère le voulait pour elle.

Que je sois maudit si je mens

Je ne dis que la vérité.

 

      Les chameliers, comprenant la valeur de l'outre que le garçon serre fièrement contre lui, proposent en échange un chameau.

Et voilà comment un petit garçon quitta sa maison avec un oeuf tout lisse et tout blanc  et retourna chez lui sur le dos d'un chameau.

 

Le conteur s'est tu.....

Les yeux plongés dans le Nil, il pense sans doute à une autre histoire, qu'un des siens lui avait contée, un jour, et qu'il vous racontera à son tour, une autre fois....

 

 

Conte issu de ce recueil traduit par Ayyam SUREAU - Illustrations de Chen Jiang Hong

"La Nubie est un pays de sable brûlé par le soleil. L'eau du Nil qui la traverse y est aussi précieuse que la terre....C'est en arrosant un palmier assoiffé que Fana la discrète commence à devenir une jeune fille éblouissante...."

 

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