TRENTE ANS PLUS TARD

Création d'un mythe

Les Nubiens cohabitent avec les Égyptiens, mais ne sont pas intégrés. Ils entretiennent leur isolement comme lorsqu'ils étaient derrière la porte de la première cataracte.

Les mariages mixtes sont rares car on se marie entre soi pour renforcer la parentèle. La généalogie tient une part importante dans la communauté; elle donne le statut d'une famille. Les mariages sont un des moyens de resserrer les liens et de changer de statut.

Aucun lien n'a été tressé avec les Égyptiens. Les deux groupes se côtoient dans des lieux communs comme l'école, le travail et les champs.

Un statu quo s'est instauré entre les deux communautés : chacun reste sur son territoire. A l'intérieur du village, la vie sociale n'a pas changé. Elle est codifiée et répond à chaque moment de l'existence : retour des migrants, visites de courtoisie, services rendus en échange de nourriture, etc...

Si les Nubiens se considèrent comme des villageois attachés à leur communauté plus qu'à une terre, la Nubia est devenue un mythe. Une profonde nostalgie a pris naissance dans la difficulté de la vie en Nouvelle Nubie. Les plus jeunes considèrent l'ancienne Nubie comme une terre bénie, le paradis perdu.

Il y a un AVANT et un APRES
  • Le terrain est mauvais par rapport à celui de la Nubia enrichi par l'apport du limon du Nil
  • Un mauvais approvisionnement ne garantit pas l'autosuffisance alimentaire
  • Le manque d'électricité est traité avec humour : "on les a condamnés à l'exil pour un barrage qui devait la produire en suffisance" !

 

Les émigrés urbains, surtout, ont cette nostalgie qui réapparaît à chaque problème rencontré. Cette nostalgie est souvent une façon d'exprimer l'impuissance, la conscience de l'impossibilité de contrôler son destin, et ressort, précise, comme une complainte dans des moments particuliers. La Nubia a été idéalisée comme moyen d'exprimer le deuil de la perte.

Terre bénie est une terre de paix, de sécurité dans un âge d'or où la communauté était censée vivre renfermée sur elle-même : le temps de l'entre-soi. La référence identitaire se traduit dans le langage pour parler de l'ancienne Nubie :

"Balad el gudûd" : "le pays des grands pères" - "le pays des ancêtres"

"Bald noï" : "notre pays"

Ce mythe est apparu dès 1902, lors de la construction du premier barrage. au fur et à mesure que les terres sont submergées, les liens communautaires se resserrent.

Le mythe a construit l'identité interne et externe mais il construit le présent :
 - regret de l'espace de l'ancien pays de 500 km² réduit à 180 km²
 - regret de l'éparpillement et de l'isolement, du regroupement à l'entassement qui a changé les relations au voisinage, puisque les habitations sont proches.
 - regret de la disparition de la dissémination des villages sur les deux berges du Nil
 - la terre est gérée par une coopérative

Cette rancoeur s'est focalisée sur le barrage "Saad el Ali" qui est à l'origine de tous les maux :

  • déplacement des villages
  • migrations temporaires des familles en milieu urbain
  • transfert et installation en Nouvelle Nubie

Dossier de Marie-Christine TADDEI-BATTESTI

Retour