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Désireux d'éviter
la dispersion et le mélange des ethnies, les Nubiens
demandent à être transférés en leur
unité. Chaque famille doit recevoir en compensation une
maison et une superficie de terre équivalente à
celle submergée. Les Nubiens émigrés voient
là une chance de revenir vivre parmi les leurs, et regagnent
leur village d'origine. Entre octobre 1963 et juin 1964, plus
de 55 000 Nubiens égyptiens (autant côté
soudanais) sont transférés vers Kom Ombo, à
70 km au nord d'Assouan.
Les villages de la nouvelle Nubie
reprennent les noms de ceux engloutis, mais non leur répartition
spatiale. On retrouve la même division géographique
des ethnies : au nord, les Kenutz, au centre les Arab's et au
sud les Fedijas. Certains expriment le regret de ne plus habiter
l'autre rive du Nil.
Le site choisi est assez éloigné
du Nil. Les maisons sont construites en ciment sur un plan standardisé
urbain, c'est à dire proches les unes des autres et les
rues à angle droit. Leurs toits sont plats et en béton
armé. La chaleur à l'intérieur y est forte,
surtout pendant la période de grosse chaleur. Elles possèdent
une cour, une étable, une cuisine, des chambres et des
WC.
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Lors de la grande migration, toutes ne
sont pas terminées et des camps provisoires s'installent dans
les rues.
La répartition des maisons est
faite par famille de type nucléaire. Le gouvernement ne tient
pas compte de la famille nubienne élargie. Les familles sont
donc éclatées dans les villages suivant le type d'habitation
: studio, F1, F2, etc....
Plus grave encore, le sol argileux est
instable et certaines habitations s'écroulent aux premières
pluies, ce qui entraîne le premier éclat de colère
des Nubiens. Ils obtiennent du gouvernement la gratuité des
maisons. Cette victoire change leur comportement par rapport aux autorités.
Ils se réapproprient l'espace de leur village. Ils modifient
leurs habitations en changeant la distribution des pièces.
Ils reprennent leurs habitudes de vivre en communauté familiale.
Les plus anciens quittent leur studio pour venir vivre chez le fils
aîné, les veuves retournent dans leur famille, etc...Les
membres d'une même tribu et d'un même lignage se regroupent
par rue. Les nagas se reforment.
L'univers
féminin est celui qui change le plus.
elles ne peuvent plus travailler dans les champs désormais
trop loin. Elles s'approprient des espaces vides pour créer
des jardins potagers. Entourés par de hauts murs, ces jardins
deviennent des lieux d'échanges et de rencontres. On y fait
cuire le pain de sorgho traditionnel et on y cultive des légumes
et des fruits. La rupture avec le Nil est plus dur pour les femmes.
Au début de leur réinstallation, elles font plusieurs
fois le trajet jusqu'au fleuve pour appeler les Djinn's, esprits
protecteurs. Elles déclarent avec humour que les Djinns ne
sont pas faits pour vivre dans les canalisations et les robinets.
En amont sont restés les esprits et les tombeaux des saints
révérés et de leurs ancêtres. Elles sont
coupées de leurs aides surnaturelles.
L'univers
masculin n'a guère varié. Il
y a les sédentaires : retraités, agriculteurs, employés
dans le secteur du tourisme, fonctionnaires ou artisans.
L'Égypte désire faire des
Nubiens des cultivateurs de canne à sucre et les faire passer
d'une polyculture à une monoculture, associée à
un système de coopératives et de rendement.
Méconnaissant ce système,
les Nubiens louent leurs terres aux Égyptiens et continuent
leurs habitudes migratoires. Désormais, ils migrent vers les
pays du golfe et souvent en famille.
Les réseaux communautaires qui
existent depuis le début des grandes migrations citadines prennent
en charge les nouveaux arrivants. Le Nubien migre en sachant où
il va et ce qu'il va faire sur place. De tout temps, ils se sont regroupés
par ethnies et par parentèle.
Les migrants jouent un rôle économique
important. Ils financent les projets collectifs et les besoins de
la famille restée au pays. Les jeunes sont poussés au
départ pour rejoindre les hommes de la famille. Le coût
de leur départ est réparti entre les migrants de la
parenté.
Les Nubiens se réfèrent
à la communauté. Même loin, le village reste le
point d'encrage. On se fiance à la ville mais on se marie au
village. On meurt en ville, l'enterrement et le deuil sont organisés
au village. Tous les évènements de la ville ont leur
continuité au village.