LA GRANDE MIGRATION 1963-1964

Les différents barrages

Saad el AliUn premier barrage est construit en 1899 puis renforcé en 1902 par les Anglais pour tenter de domestiquer le Nil. Les basses terres entre Assouan et Dakka sont submergées. Les Nubiens déplacent leurs villages une première fois, mais ce barrage est surélevé deux fois. En contrepartie de la terre perdue, les Nubiens reçoivent argent et équipements agricoles. Certains choisissent d'émigrer au-delà d'Assouan.

Nasser décide la construction du grand barrage pour des raisons économiques et sociales....

ECONOMIQUES
SOCIALES
  • garantir l'eau suffisante pour l'extension de zones agricoles
  • retenir les eaux du Nil pour combattre la crue
  • réguler le débit du fleuve pour avoir de l'eau suffisante pour toutes cultures
  • planifier l'agriculture
  • simplifier et réduire le coût des opérations de drainage de toute la superficie cultivée du pays
  • étendre les rizières
  • éviter les dépenses humaines et financières dues aux crues
  • produire 8 milliards de KW
  • naviguer vers la Méditerranée et le Soudan
  • augmenter le niveau de vie des gens qui auront acquis de nouvelles terres arables
  • moderniser les villages en introduisant l'électricité.

....et  le Soudan donne son accord contre compensations :

 

  • doubler les superficies cultivables
  • développer la culture du coton longue fibre
  • accroître le revenu de l'Etat
  • produire de l'électricité

Nasser voit là un progrès pour la nation et il salue le sacrifice des Nubiens qui sont appelés à devenir de vrais Égyptiens.

Les Nubiens, les premiers intéressés pourtant, découvrent le projet par les ouvriers engagés par les scientifiques qui recensent leur patrimoine culturel devant disparaître. Certains monuments sont sauvés grâce à l'aide de pays étrangers. La France recevra en cadeau la magnifique tête d'Aménophis IV (Akhenaton) exposée au Louvre.

Le sauvetage commence par les monuments avant celui des hommes....

 

LA GRANDE MIGRATION
ZOOM 

Désireux d'éviter la dispersion et le mélange des ethnies, les Nubiens demandent à être transférés en leur unité. Chaque famille doit recevoir en compensation une maison et une superficie de terre équivalente à celle submergée. Les Nubiens émigrés voient là une chance de revenir vivre parmi les leurs, et regagnent leur village d'origine. Entre octobre 1963 et juin 1964, plus de 55 000 Nubiens égyptiens (autant côté soudanais) sont transférés vers Kom Ombo, à 70 km au nord d'Assouan.

Les villages de la nouvelle Nubie reprennent les noms de ceux engloutis, mais non leur répartition spatiale. On retrouve la même division géographique des ethnies : au nord, les Kenutz, au centre les Arab's et au sud les Fedijas. Certains expriment le regret de ne plus habiter l'autre rive du Nil.

Le site choisi est assez éloigné du Nil. Les maisons sont construites en ciment sur un plan standardisé urbain, c'est à dire proches les unes des autres et les rues à angle droit. Leurs toits sont plats et en béton armé. La chaleur à l'intérieur y est forte, surtout pendant la période de grosse chaleur. Elles possèdent une cour, une étable, une cuisine, des chambres et des WC.

Lors de la grande migration, toutes ne sont pas terminées et des camps provisoires s'installent dans les rues.

La répartition des maisons est faite par famille de type nucléaire. Le gouvernement ne tient pas compte de la famille nubienne élargie. Les familles sont donc éclatées dans les villages suivant le type d'habitation : studio, F1, F2, etc....

Plus grave encore, le sol argileux est instable et certaines habitations s'écroulent aux premières pluies, ce qui entraîne le premier éclat de colère des Nubiens. Ils obtiennent du gouvernement la gratuité des maisons. Cette victoire change leur comportement par rapport aux autorités. Ils se réapproprient l'espace de leur village. Ils modifient leurs habitations en changeant la distribution des pièces. Ils reprennent leurs habitudes de vivre en communauté familiale. Les plus anciens quittent leur studio pour venir vivre chez le fils aîné, les veuves retournent dans leur famille, etc...Les membres d'une même tribu et d'un même lignage se regroupent par rue. Les nagas se reforment.

Photo de Napata.orgL'univers féminin est celui qui change le plus. elles ne peuvent plus travailler dans les champs désormais trop loin. Elles s'approprient des espaces vides pour créer des jardins potagers. Entourés par de hauts murs, ces jardins deviennent des lieux d'échanges et de rencontres. On y fait cuire le pain de sorgho traditionnel et on y cultive des légumes et des fruits. La rupture avec le Nil est plus dur pour les femmes. Au début de leur réinstallation, elles font plusieurs fois  le trajet jusqu'au fleuve pour appeler les Djinn's, esprits protecteurs. Elles déclarent avec humour que les Djinns ne sont pas faits pour vivre dans les canalisations et les robinets. En amont sont restés les esprits et les tombeaux des saints révérés et de leurs ancêtres. Elles sont coupées de leurs aides surnaturelles.

 

Napata.orgL'univers masculin n'a guère varié. Il y a les sédentaires : retraités, agriculteurs, employés dans le secteur du tourisme, fonctionnaires ou artisans.

L'Égypte désire faire des Nubiens des cultivateurs de canne à sucre et les faire passer d'une polyculture à une monoculture, associée à un système de coopératives et de rendement.

Méconnaissant ce système, les Nubiens louent leurs terres aux Égyptiens et continuent leurs habitudes migratoires. Désormais, ils migrent vers les pays du golfe et souvent en famille.

Les réseaux communautaires qui existent depuis le début des grandes migrations citadines prennent en charge les nouveaux arrivants. Le Nubien migre en sachant où il va et ce qu'il va faire sur place. De tout temps, ils se sont regroupés par ethnies et par parentèle.

Les migrants jouent un rôle économique important. Ils financent les projets collectifs et les besoins de la famille restée au pays. Les jeunes sont poussés au départ pour rejoindre les hommes de la famille. Le coût de leur départ est réparti entre les migrants de la parenté.

Les Nubiens se réfèrent à la communauté. Même loin, le village reste le point d'encrage. On se fiance à la ville mais on se marie au village. On meurt en ville, l'enterrement et le deuil sont organisés au village. Tous les évènements de la ville ont leur continuité au village.

Dossier de Marie-Christine TADDEI-BATTESTI

Retour